Le 10 février dernier, le tribunal administratif de Paris a sommé l’État de restituer aux ayants droit d’Ambroise Vollard quatre œuvres conservées jusqu’alors au musée d’Orsay et au Louvre.
Ambroise Vollard (1866-1939) était un marchand d’art parisien et éditeur. Il a été, entre autres, le promoteur de Paul Cézanne, Paul Gauguin ou encore Pablo Picasso. Décédé brutalement d’un accident de voiture en juillet 1939, Ambroise Vollard laissait derrière lui une collection de 5 à 6 mille œuvres et objets d’art.
Le marchand n’avait pas fait de testament mais avait désigné ses frères et sœurs ainsi que des amis comme héritiers. Tous s’étaient entendus pour diviser le legs et faire appel à deux marchands pour les aider à gérer cette succession importante. Les deux marchands en question étaient Martin Fabiani et Etienne Bignou, très actifs sur le marché pendant la Seconde Guerre mondiale, à l’international et y compris avec l’Allemagne. Avec la complicité du frère d’Ambroise Vollard, Lucien, les deux marchands auraient détourné certaines œuvres de la succession pour les vendre aux autorités allemandes.
C’est en 2013 que l’affaire ressurgit, lorsque les ayants droit des héritiers d’Ambroise Vollard adressent une demande de restitution au ministère de la Culture. Ils estiment que sept œuvres doivent leur être rendues, sept œuvres de Renoir, Gauguin et Cézanne, classées « MNR » et conservées par le musée d’Orsay et le musée du Louvre.
Le signe « MNR » signifie « Musées Nationaux Récupération ». Les œuvres portant ce sigle ont été retrouvées en Allemagne au lendemain de la Seconde Guerre mondiale et acheminées vers la France car certains indices laissaient à penser qu’elles provenaient de France. Ces œuvres ont été attribuées aux musées nationaux qui en ont la garde, mais pas la propriété. Au 1er juillet 2022, on comptait 2039 MNR conservés par des institutions publiques.
En 2016, les héritiers de la succession Vollard recevaient une première réponse à leur demande, qui s’avérait être négative. Une des raisons invoquées était le défaut de spoliation, le changement de mains ayant été validé par des ventes.
C’est toute une saga procédurale qui s’ensuit avec des difficultés liées notamment à la compétence des juges sollicités. Deux décisions récentes apportent enfin des réponses aux requérants.
- En mai 2022, le tribunal judiciaire de Paris considère que quatre des MNR demandés étaient bien la propriété d’Ambroise Vollard à son décès. Ils sont la propriété indivise des requérants.
- En février 2023, le tribunal administratif de Paris enjoint l’État de restituer ces quatre œuvres aux requérants. Les MNR doivent être restitués à leurs propriétaires légitimes, « qu’ils aient été victimes d’une telle spoliation, soit qu’aucune spoliation n’ayant eu lieu, ils en étaient et demeurent les propriétaires légitimes ».
Cette décision a été remarquée, et pour cause. Qu’il existe des MNR non spoliés n’est pas une nouveauté. Les œuvres classées MNR ont été rapportées d’Allemagne vers la France car elles provenaient initialement de France, peu importe la façon dont elles étaient arrivées en Allemagne (par suite de spoliations, ventes forcées, mais également par le biais de ventes licites). La curiosité réside plutôt dans le fait que la restitution de MNR non spoliés soit exigée. C’est en effet la première occurrence d’une telle restitution en France ; jusque-là les restitutions étaient celles de biens culturels spoliés. Le juge administratif n’a pourtant pas innové dans le raisonnement juridique, il a repris une jurisprudence établie en 2014 par le Conseil d’État qui avait été le premier à dire que l’État n’était qu’un gardien des MNR et devait les restituer à qui de droit, qu’il y ait eu spoliation ou non.
Les œuvres dont la restitution a été enjointe sont les suivantes :
- Pierre-Auguste Renoir, Marine : Guernesey, MNR 200 ;
- Paul Gauguin, Nature morte à la mandoline, MNR 219 ;
- Pierre-Auguste Renoir, Le jugement de Pâris, REC 57 ;
- Paul Cézanne, Sous-bois, REC 162.
Les musées d’Orsay et du Louvre en étaient dépositaires et sont tenus de les restituer dans un délai d’un mois suivant la décision de justice du tribunal administratif.