Projet de loi pour la restitution d’œuvres des collections publiques spoliées pendant la Deuxième Guerre mondiale

Par Corinne Hershkovitch

Le projet de loi annoncé par la ministre de la Culture le 3 novembre 2021 a pour objet d’autoriser le déclassement de biens culturels entrés dans les collections publiques. L’État a décidé, pour des raisons diverses, de les remettre aux ayants-droits de personnes spoliées pendant la Deuxième Guerre mondiale.

Une telle loi met en lumière la carence de l’État à organiser une procédure cadre pour le déclassement d’œuvres des collections publiques dans les cas où leur sortie serait jugée nécessaire.

En effet, aucune procédure administrative ne permet aujourd’hui la sortie du domaine public d’un bien présentant un intérêt du « point de vue de l’histoire, de l’art, de l’archéologie, de la science ou de la technique » (art. du L. 2112 1 du CG3P), ce qui est le cas des œuvres objet du présent projet de loi.

Gustav Klimt, Rosiers sous les arbres, restitution
Gustav Klimt, Rosiers sous les arbres, vers 1905

Le « Rosier sous les arbres » de Gustav Klimt

Le projet prévoit que le tableau de Gustav Klimt, acquis en 1980 auprès d’un marchand, conservé dans les collections du musée d’Orsay, cesse de faire partie de ces collections pour être restitué aux ayants droit de Mme Eleonore Stiasny. Cette dernière, ressortissante autrichienne, l’avait cédée à vil prix à Vienne lors de l’Anschluss en 1938, à M. Philip Haüssler, avant d’être déportée et assassinée. Sa restitution répond au motif impérieux de réparation des pillages et spoliations antisémites perpétrés du fait du régime nazi.

Maurice Utrillo, Carrefour à Sannois, restitution
Maurice Utrillo, Carrefour à Sannois, 1936-1937

Le « Carrefour à Sannois » de Maurice Utrillo

La commune de Sannois a acheté cette œuvre dans une vente publique organisée par Sotheby’s à Londres. Il est apparu que ce tableau avait été pillé dans la galerie de M. Georges Bernheim par l’Einsatzstab Reichsleiter Rosenberg (ERR) en 1940. La CIVS en a recommandé la restitution aux ayants droit du propriétaire légitime.  

Les douze œuvres de la collection Armand Dorville

Ces œuvres, propriété de M. Armand Dorville, ont été adjugées en ventes publiques en juin 1942 à Nice et acquises par les Musées nationaux en présence d’un administrateur provisoire nommé par le commissariat général aux questions juives, en application de la loi du 22 juillet 1941, relative aux entreprises, biens et valeurs appartenant aux juifs.
Saisie par les ayants droit de M. Armand Dorville d’une demande d’annulation de la vente aux enchères et de restitution de ces œuvres ainsi que d’autres conservées dans les collections publiques, la Commission pour l’indemnisation des victimes de spoliations (CIVS) a, dans une recommandation en date du 17 mai 2021, décliné sa compétence pour prononcer la nullité des ventes et estimé que celles-ci « ont été organisées et réalisées sans contrainte ni violence ». La CIVS a toutefois relevé que la nomination de l’administrateur provisoire lors de la vente de Nice « a eu comme conséquence immédiate l’appréhension de leurs produits, rendus ainsi indisponibles pour les légataires », avec des « conséquences exceptionnellement aggravées par la déportation et l’extermination de trois légataires d’Armand Dorville et de deux enfants ». Relevant que « c’est dans ce contexte trouble que le Secrétariat d’État à l’Éducation nationale et à la Jeunesse (Beaux-Arts, direction des Musées nationaux) a acquis, en toute connaissance de cause », les douze œuvres réclamées, elle a recommandé, « sur le fondement de l’équité », « qu’il soit fait retour aux ayants droit d’Armand Dorville » des œuvres achetées par les Musées nationaux à la vente de juin 1942. Elle s’est toutefois prononcée contre la restitution des autres œuvres revendiquées.
Cette recommandation a été acceptée par le Premier Ministre. Elle est néanmoins contestée par les ayant-droits d’Armand Dorville, qui ont saisi le Tribunal judiciaire de Paris d’une demande de constatation de la nullité des ventes sur le fondement des dispositions de l’ordonnance du 21 avril 1945.
L’affaire sera plaidée le 11 janvier 2022.

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