Par Marie Duflot
Philippe Sprang nous a quitté le 3 octobre 2023, à 63 ans. Curieux, ambitieux mais aussi engagé et tenace, il a travaillé dans la restauration, dans le journalisme et en tant que brocanteur, autant de vies que de passions.
Philippe Sprang a débuté sa carrière de journaliste en 1990, par un article co-écrit avec Lionel Duroy et publié dans l’Évènement du Jeudi, relatif à la collection d’Adolphe Schloss – entièrement dérobée pendant la Seconde Guerre mondiale. Il a ensuite dédié sa carrière de journaliste à ce sujet, s’indignant du manque de visibilité et de recherche quant au pillage des collections juives pendant l’Occupation.
Comme peu de personnes s’intéressaient aux spoliations juives, elles étaient nécessairement amenées à se rencontrer. C’est ainsi que Philippe Sprang et Corinne Hershkovitch se sont rencontrés, peu de temps après le décès de Bruno Lohse. Historien de l’art activement impliqué dans le pillage des œuvres d’art sous l’Occupation, la faible réaction française à l’annonce de sa disparition l’avait révolté.
Philippe Sprang était infatigable, il s’investissait auprès des héritiers allant jusqu’à conduire des recherches de provenance lui-même. Il a participé à mettre sur le devant de la scène les œuvres d’art spoliées, mais aussi les livres et bibliothèques dispersés pendant la guerre. En 2013, il a écrit un article de fond sur ce sujet spécifique en regrettant qu’il n’ait pas été traité dans le rapport Mattéoli de 1997.
Militant inlassable, Philippe Sprang a longtemps déploré le manque d’accès aux sources dans les années 1990, notamment celui aux archives. Il écrivait alors : « Atterré par le sort réservé aux archives, à leur incommunicabilité, estomaqué par l’indifférence des responsables d’administration, les petitesses de vues, les pré-carrés administratifs et des histoires regardant ailleurs. Voilà ce que je découvre au fur et à mesure des années 1990. »1. S’il constate une nette amélioration au fil des années, il regrette encore en 2015 que « Les recherches restent toujours à la charge des spoliés, les ayant droits disparaissent. Il existe toujours des « dérogations » pour l’accès aux archives. Le droit du prince. »2.
Philippe Sprang met un terme à son activité de journaliste en 2019 pour devenir brocanteur. En février 2022, il fait l’honneur à Corinne Hershkovitch de lui donner ses archives. Ouvrages spécialisées, notes manuscrites, reproductions d’archives, autant de documents qui remplissent alors plusieurs caisses.
Corinne Hershkovitch m’a alors proposé de travailler sur ces archives et fait confiance pour débuter leur traitement et leur analyse. Mes recherches ont fait l’étude d’un mémoire intitulé « Le traitement du fonds d’archives Philippe Sprang. Pillage des collections juives pendant l’Occupation », réalisé dans le cadre du DU recherche de provenance des œuvres de l’université Paris Nanterre en 2022.
Le travail est aujourd’hui à poursuivre. Les archives de Philippe sont riches et pourront alimenter les travaux de nombreux chercheurs en devenir.
1-2 Philippe Sprang, « Colère », in Johanna Linsler, Mica Gherghescu, Didier Schulmann, Les sources au travail. Les spoliations d’ouvres d’art par les nazis, 1933-2015, Le journal de l’Université d’été de la Bibliothèque Kandinsky, n°2, 2015, p. 70.