Les Marbres Elgin, 2022, vers une négociation ?

Par Denise Vernerey-Laplace
Athènes, Acropole
Athènes, L’Acropole

Aveugles sont les yeux qui ne versent pas de larmes en voyant tes objets sacrés pillés par de profanes mains anglaises.
Qui ont encore blessé ton sein meurtri et ravi tes dieux,
Des dieux qui haïssent l’abominable climat nordique de l’Angleterre

Georges Gordon Byron, Childe Harold, 1811[1]

En 2021 et 2022, l’affaire de la restitution des marbres Elgin a été « relancée » – car il le fallait – par deux événements qui lui sont assez « exogènes ». Le premier, un dégât matériel : le ruissèlement survenu au British Museum, à proximité immédiate des marbres du Parthénon. Le second, une découverte archéologique :  la nouvelle campagne de fouilles sous-marines menées sur l’épave du Mentor, l’un des bateaux qui emporta à Londres la collection de Lord Elgin, a révélé trois amphores, des pièces de monnaie, des bijoux et des porcelaines ; il n’en fallait pas plus pour relancer les débats à propos du retour des marbres du Parthénon sur leur sol natal. Voici le motif de la visite du premier ministre grec à Londres en novembre 2021. Cependant les scientifiques tentaient de leur côté d’apporter une solution à la pointe des nouvelles technologies. Mais le bicentenaire de la guerre d’indépendance grecque ranime la volonté du gouvernement de Kyriakos Mitsotakis face à un Premier ministre anglais qui campe sur sa position alors que l’opinion publique anglaise semble s’ouvrir aux discussions.

Le choc des images…

Marbres Elgin, British Museum, Londres, Angleterre

En 2018, le journal grec Ta Néa a diffusé des images de la salle des marbres Elgin au British Museum ; elles laissaient clairement apparaître des traces de ruissèlement dans les salles précisément où étaient exposées 80 plaques de frise et sculptures du Parthénon. Lina Mendoni, archéologue et, à l’époque, ministre grecque de la Culture, a fustigé : « La négligence de la part du British Museum, dont ces images témoignent, renforce la demande légitime de la Grèce du retour permanent des sculptures à Athènes, et de leur réunification avec le Parthénon ».

Au dessus : British Museum, Londres. La frise du Parthénon

Aujourd’hui en dépit de sept mois de travaux, plusieurs salles consacrées à l’art hellénique au British Museum n’ont pas encore pu rouvrir. Les médias grecs s’emparent de l’aubaine, diffusent un flux d’images afin de sonner l’alarme et d’étayer leur réclamation[2].

La chasse au trésor

Au départ de Grèce, on a chargé sur plusieurs navires la collection que Lord Elgin emportait à Londres. La première métope a été arrachée au Parthénon le 31 juillet 1801. En 1806, les ouvriers de Lusieri, le bras droit de Elgin sur l’Acropole, détachent une caryatide de l’Érechthéion, et d’autres sculptures qu’ils chargent à bord de l’Hydra. Les embarcations ont connu des sorts différents et certaines pièces ont disparu à jamais[3]. Les premières pièces vers l’Angleterre ont voyagé à bord de navires marchands de Raguse qui furent un temps bloqués à Alexandrie. Grâce à l’intervention de Lady Elgin, deux navires de guerre anglais, la Diane et la Mutine acceptèrent de charger une partie des cargaisons. Le Mentor, quant à lui, coula au large du port de Cythère, emportant par le fond dix-sept caisses dans lesquelles étaient quatorze plaques de frise et d’autres marbres dont le « trône de Nisbet » que l’archevêque d’Athènes avait offert à la famille de Lady Elgin. Lors du crash, la coque du bateau est détruite, dans l’instant les premiers plongeurs remontèrent une grande quantité de bois. 

Le 22 avril 1811, onze caisses demeurées sur le port du Pirée sont embarquées sur l’Hydra. Lord Byron est à bord du même bateau. En 1817, les dernières pièces sont déposées à bord du Tagus et du Satellite

On a fouillé en vain l’épave du Mentor depuis 1911. Deux siècles plus tard, en 2019, l’archéologue Dimitri Kourkoumellis et son équipe se sont vu confier la tâche de « nettoyer » le site archéologique. Les pièces de monnaie retrouvées ont permis à l’archéologue de déduire que l’équipage était cosmopolite[4]. Les plongées se multiplient jusqu’en 2021. Mais on a remonté des fragments de sculptures égyptiennes, une tête d’Amenhotep, des fragments de sculptures ptolémaïques qui attestent que les intérêts « scientifiques » de Lord Elgin s’étendaient à l’Égypte également[5].

Les dernières plongées des 27 août au 15 septembre dernier 2021 ont permis aux plongeurs de remonter des bijoux en or, des ustensiles antiques, des fragments d’amphores.  Dimitris Kourkoumelis est l’heureux découvreur des trois amphores. L’émotion est grande à Athènes, et, mettant à profit le climat exacerbé que suscitent les fouilles, le gouvernement de Kyrialos Mitsotakis se trouve fondé à réclamer derechef le retour des marbres.

A droite : Le Mentor

Le Mentor

Il ne peut y avoir de meilleur moment…

A l’occasion du bicentenaire de sa guerre d’indépendance, l’archéologue déclare devant l’UNESCO qu’il « ne pouvait y avoir de meilleur moment… pour réunir la partie manquante des sculptures du Parthénon. »

En novembre, il reprend son bâton de pèlerin et rend visite à Boris Johnson afin de reprendre les négociations. En vain dans l’instant[6]. Le premier ministre britannique déclare qu’il comprend l’émotion du peuple grec, mais se réfugie derrière les décisions des administrateurs du British Museum[7] : « Le gouvernement britannique a une position ferme depuis longtemps sur ces sculptures : elles ont été acquises légalement par Lord Elgin, conformément aux lois en vigueur à l’époque. Les commissaires du British Museum en sont légalement propriétaires depuis que (les frises) sont entrées en leur possessions[8]. »

Le samedi 4 décembre suivant, l’Humanité relaye l’indignation grecque, regrettant que le « philhellène » Boris Johnson se refuse à toute prise de décision.[9]

Quand Boris Johnson était « philhellène »

Frise du Parthénon, British Museum, Angleterre

Le Ta Néa a publié une « pépite », un article inédit de la bibliothèque de l’université d’Oxford retrouvé par son correspondant en Angleterre. Le document est rédigé par un étudiant… Boris Johnson lui-même, alors âgé de 21 ans.

Au dessus : La frise du Parthénon, British Museum

Le magazine Debate avait à l’époque publié quelques lignes où le futur locataire du Downing Street, philhellène convaincu à cette époque et grand admirateur de Périclès, plaidait en faveur de la restitution des marbres à Athènes ; déplorant même le traitement infligé aux marbres « sciés et tranchés » et insistant sur l’importance que ceux-ci regagnent leur terre d’origine[10]. Mieux, alors qu’il était président de l’Oxford Union Society, il avait convié Mélina Mercouri à un débat intitulé : « Cette institution est convaincue que les marbres Elgin doivent être rendus à Athènes [11]».  A cette époque néanmoins, il martelait déjà que Lord Elgin avait « légalement » acquis les marbres du Parthénon, dans un pays « avant-poste en ruine de l’empire ottoman. » 

L’opinion anglaise favorable à une restitution

Symptôme des divergences entre le peuple et le gouvernement anglais sur divers sujets sensibles, l’opinion anglaise semble favorable au retour des marbres en Grèce. M. Stampodilis, ministre de la culture grecque relève : « il suffirait d’un acte du Parlement anglais pour que les frises reviennent en Grèce. » En effet, l’opinion publique britannique y est de plus en plus favorable : 59% des sondés estiment que les marbres emportés par Lord Elgin appartiennent à la Grèce, selon la dernière enquête de l’institut anglais Yougov, contre 37% en 2014. Le Times a par ailleurs écrit en janvier 2022 : « Les temps ont changé… Les sculptures appartiennent à Athènes. Elles doivent maintenant y retourner ».

Solutions alternatives : la 3D…

Mais le British Museum campant sur sa position, refuse toute solution alternative à la restitution. 

Le 31 mars 2022, une équipe de l’Institut d’archéologie numérique (DIA) de Oxford a déclaré son intention de reproduire les plaques de la frise du Parthénon grâce à un scan en 3D. Paul Bérard révèle dans le Journal des Arts qu’une équipe de scientifiques – qui a déjà scanné l’arc de triomphe de Palmyre – voudrait scanner les marbres avec une précision millimétrique pour les reproduire en volume à taille réelle dans le marbre pentélique d’où sont extraits les originaux[12]« Notre objectif a déclaré Roger Michel, actuel directeur du DIA, est de donner aux gens une chance de voir à quel point une copie peut être extraordinaire ».  Ainsi les originaux, murmure-t-on, pourraient revenir à Athènes et les copies rejoindre le musée londonien. Le musée s’oppose au scan. Mais l’Institut d’archéologie numérique (DIA) d’Oxford va faire appel via la voie judiciaire de ce refus « arbitraire » et « capricieux » du British Museum. Le département des antiquités grecques et romaines du British Museum admet toutefois qu’un tel travail de reconstitution en trois dimensions des « marbres d’Elgin » pourrait « débloquer de nouvelles découvertes ». Ce qui n’empêche pas la direction du musée londonien de refuser l’intervention de l’Institut d’archéologie numérique. Michel Rogier et son équipe se sont alors rendus au musée avec des « Ipad sous stéroïdes » pour scanner les « marbres d’Elgin ». Le British Museum s’est dit très surpris d’apprendre que des scans avaient été réalisés en ses murs et à son insu : « Toute activité de ce type constituerait une violation de nos réglementations relatives aux visiteurs », a-t-il déclaré dans un communiqué. Le DIA dit avoir agi dans son bon droit : « les directives autorisent pleinement et exactement ce que nous avons fait ».

« Notre objectif est de donner aux gens une chance de voir à quel point une copie peut être extraordinaire », a déclaré Roger Michel. Il s’agirait peut-être aussi, selon certains, d’aider à résoudre le conflit qui oppose les dirigeants du British Museum aux Grecs depuis plus de 200 ans. Tandis que les premiers clament leur légitime propriété des « marbres d’Elgin », les seconds demandent la restitution d’un bien qui leur a été « volé » …

Trafalgar Square, Angleterre
Simulation de l’installation de l’arc de triomphe de Palmyre sur Trafalgar Square

« Il est temps que le sujet soit clos »

Paul Bérat annonce dans le Journal des Arts le 16 juin 2022 que « le président du British Museum de Londres s’est dit ouvert à un accord avec Athènes pour partager les marbres du Parthénon de l’Acropole d’Athènes »[13]. Cet optimisme doit se teinter de prudence, néanmoins, le Figaro nuance : ces discussions ne sont que formelles. Mais Géo souligne que des observateurs entrevoient des signes de résolution future : « On ne parle pas de n’importe quelle œuvre d’art éloignée de son lieu d’origine » mais de toute « une partie d’un monument architectural symbole de la culture mondiale« , souligne à l’AFP Nikos Stampolidis, directeur du musée de l’Acropole : »On parle de la réunification du monument du Parthénon« , dit-il, de l’un des sites du Ve siècle avant notre ère les plus visités du monde. Le British Museum lui-même semble assouplir sa position, ainsi que le suggère Ta Nea. Interrogé en février sur un possible prêt des marbres à la Grèce, un porte-parole du musée s’est contenté de dire que « normalement » l’emprunteur doit reconnaître la propriété du British Museum, ce qui était auparavant une « précondition« . « C’est un adoucissement de leur position, qui indique un désir de faire ce qui est bien : restituer les marbres« , commente Mark Stephens, avocat en patrimoine culturel. « Le seul problème » aux yeux de la Commission internationale pour la réunification des marbres du Parthénon (IARPS) « est que le Royaume-Uni est devenu très nationaliste s’agissant des litiges sur le patrimoine culturel« . La Grèce doit décider de sa « stratégie » mais « nous encourageons à ce qu’elle continue sur la voie diplomatique« , a déclaré à l’AFP Marlen Goldwin, membre de l’IARPS. Car « si elle va devant les tribunaux, ce sera une sorte de guerre« . Certes au mois de mai 2022, Jonathan Williams, directeur adjoint du British Museum a fait savoir que le musée d’avait aucunement l’intention de rendre les marbres, mais les responsables culturels grecs et les administrateurs du musée londoniens doivent bientôt se rencontrer[14]… Mais le Journal des Arts titre le 16 juin 2022, « Le British Museum ouvert à un accord avec la Grèce pour partager les marbres du Parthénon… [15]»


[1] Cité in Hérodote.net, le media de l’Histoire

https://www.herodote.net/26_decembre_1801-evenement-18011226.php

[2] https://www.humanite.fr/monde/grece/pillage-culturel-le-royaume-uni-rendra-t-il-les-marbres-delgin-la-grece-729464

[3] CNED, https://lepetitjournal.com/athenes/resultat-des-recherches-2020-menees-sur-la-celebre-epave-du-mentor-297957

[4] https://45secondes.fr/un-navire-grec-transportant-des-parties-du-parthenon-renonce-a-plus-de-secrets/

[5] École française d’Athènes, Report,  D. Kourkoumellis (Ephoreia of Maritime Antiquities). Auteur de la notice, Catherine MORGAN.

https://chronique.efa.gr/?kroute=report&id=4513

[6] Le Figaro, 24 novembre 2021, Blaise Campion

https://www.lefigaro.fr/culture/patrimoine/les-marbres-du-parthenon-une-eternelle-querelle-en-voie-de-resolution-20220417

[7] https://www.youtube.com/watch?v=nC_MdveXFWY

Et : https://fr.euronews.com/2021/11/17/kyriakos-mitsotakis-reclame-les-marbres-du-parthenon-ou-marbres-elgin-a-boris-johnson

[8] Sud Ouest, 2021. https://www.sudouest.fr/international/johnson-affirme-que-les-marbres-du-parthenon-a-athenes-ont-ete-legalement-acquis-par-londres-1604611.php

[9] L’Humanité, 4 décembre 2022, Thomas Lemahieu.

[10] « Quand Boris Johnson était favorable à la restitution des marbres du Parthénon ». «https://www.lejournaldesarts.fr/actualites/quand-boris-johnson-etait favorable-la-restitution-des-marbres-du-parthenon-158376

[11] « This house believes that the Elgin marbles must be returned to Athens »

[12] Ce « robot sculpteur » a déjà permis au DIA de recréer, à Trafalgar Square, l’Arc de triomphe de Palmyre détruit en 2015 par Daech. Fondée en 2012 par son actuel directeur Roger Michel, professeur à l’université de droit de Boston, l’Institut d’archéologie numérique d’Oxford se donne pour mission « d’étudier, de préserver et de restaurer des artefacts anciens à un moment où un grand nombre d’objets irremplaçables sont sous la menace évidente d’être perdus à jamais ».

[13] Le Journal des Arts, (avec AFP), Londres, le 16 juin 2022, Paul Bérat.

[14] Le Journal des Arts avec AFP, Julie Goy, le 16 juin 2022.

[15] Le Journal des Arts avec AFP, Julie Goy, le 16 juin 2022.

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