Faire de la recherche de provenance : Le regard de François Coulon, conservateur en chef Musée des Beaux-Arts de Rennes

Par Anne-Laure Linet

Plus d’un tiers des réserves du musée des beaux-arts de Rennes est rempli d’objets d’origine extra-européenne provenant des quatre coins du monde. François Coulon, conservateur en chef au musée des beaux-arts de Rennes, en est le gardien depuis plus de trente ans. Dans cet entretien, il nous raconte comment la recherche de provenance est au cœur de ses pratiques de conservateur.

Vous qui êtes conservateur depuis 1990, quelle est la place de la recherche de provenance dans votre métier ? A-t-elle évolué depuis le début de votre carrière ? 

Les conservateurs qui font bien leur travail s’informent depuis toujours sur la provenance des objets de leurs collections. À titre personnel, ce sujet m’intéresse depuis toujours. J’ai d’ailleurs publié en 2001 un article nommé La figure du pourvoyeur d’objets extra-européens qui mettait en lumière les liens du musée avec ses donateurs d’objets extra-européens. 

L’enjeu de la recherche de provenance telle qu’elle est aujourd’hui présentée est de pouvoir attaquer juridiquement la possession d’un objet problématique par un musée. Aujourd’hui, poser la question des provenances redynamise l’intérêt que j’y portais déjà en 2001. Cela permet de rebattre les cartes en mêlant ces objets à des enjeux politiques. On fait alors des objets un élément d’échange de bon procédé entre nations quand c’est nécessaire. Aujourd’hui, si le contexte politique est différent, cela ne change pas nos pratiques, nos habitudes, nos techniques de recherches. 

Comment trouver l’équilibre entre le travail de recherche de provenance du conservateur et les enjeux politiques, diplomatiques et géopolitiques sous-jacents à ces recherches ?

On ne va rien cacher car nous sommes des honnêtes scientifiques. Mais nous avons le devoir de ne pas être dans le temps politique pour faire de la science. Selon moi, tout scientifique ancré dans un agenda politique risque de bâcler son travail. J’ai des états d’âme lorsque le transfert d’un objet à une autre nation ne sert ni la culture, ni les bonnes relations entre les peuples mais devient un outil de développement économique ou de pression politique. La réduction de l’objet culturel à un vulgaire vecteur d’enjeux financiers est désolante pour les conservateurs. 

Au musée, y a-t-il des objets particuliers qui font l’objet de recherches plus spécifiques ou d’enjeux particuliers ?

Une toute petite partie des collections du musée doit faire l’objet d’une attention particulière. Il s’agit par exemple d’un tambour Dong Son arrivé au musée suite à une saisie des douanes. La personne qui le transportait venait de Dakar, un lieu de transit connu pour les biens culturels provenant d’Asie. Pour moi, se pose la question très concrète de déterminer quelle est la personne de référence à qui je dois m’adresser pour connaître le positionnement des Vietnamiens vis-à-vis de ce tambour.

Un panier inca provenant d’une nécropole nommée Ancon pose également question pour deux raisons. Premièrement, nous ne savons pas dans quelles circonstances ce panier a été récupéré. Deuxièmement, une mèche de cheveu, probablement de la défunte, est présente dans ce panier. Il s’agit donc de restes humains pour lesquels de nombreuses questions éthiques se posent.

De même, on peut considérer que tous les objets de culte que nous possédons sont sensibles. Seulement, il faut savoir que beaucoup de civilisations africaines s’en sont défait suite à la disparition de certaines croyances. Ils se sont éloignés de ces objets qui sont alors devenus accessibles à la vente pour les visiteurs occidentaux. Nous devons porter un regard particulier sur ces objets qui, a priori, ne sont pas de simples objets d’échange comme le sont les lances, les sagaies ou d’autres objets accumulés dans nos réserves. 

Quels sont, selon vous, les écueils de la recherche de provenance actuelle ? 

Selon moi, il existe aujourd’hui une sorte de fantasme du sac de Persépolis diffusé par la presse planant sur toutes les collections des musées. On pense donc, à tort, que l’intégralité de notre collection est contestable. Cette croyance montre une méconnaissance totale de l’histoire des pays qui ont été colonisés puisque la plupart des objets qui en sont issus ont des origines assez claires. Pour les objets qui ont des parcours très peu documentés, c’est souvent parce qu’ils ont été achetés par des familles rennaises, à Rennes même, où existait un vrai réseau de marchands et de brocanteurs, descendants des marchands merciers. Il est nécessaire de continuer à travailler sur nos collections, mais sans tomber dans la méfiance automatique envers tous les objets de nos collections.

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