Par Denise Vernerey-Laplace
Le Vatican ouvre une nouvelle page de l’histoire du retour des marbres du Parthénon en Grèce. Lors d’un séjour à Athènes fin 2021, le pape François a rencontré l’archevêque Hieronyme II, chef de l’église orthodoxe grecque. Après de longs échanges, il a choisi de faire du dialogue interreligieux et œcuménique un des thèmes centraux de son pontificat. Il apaise ainsi la problématique de la restitution en la déplaçant sur le champ des relations interconfessionnelles.
La presse italienne s’est émue de ce geste. Une consultation des différents articles publiés est le fondement de ce texte.
Dès le 7 mars 2022, le Vatican annonce le retour de trois fragments sculptés à Athènes et signe les documents nécessaires à ce retour. Il Sismografo, site proche du Vatican, annonce : « Il s’agit d’une nouvelle réconfortante pour la Grèce tout entière. Demain, jour anniversaire du décès de Melina Mercouri, la ministre de la Culture et du Sport Lina Mendoni et le directeur du musée de l’Acropole Nikolaos Stampolidis se rendront à Rome pour recevoir les fragments auprès des musées du Vatican ».
Relevons que ce don historique, symbolique, a été fait à l’église orthodoxe grecque et non à l’état grec « comme signe concret du désir sincère de poursuivre le voyage œcuménique de témoignage de la vérité », selon les paroles du patriarche grec.
Trois fragments du Parthénon, conservés par les musées du Vatican depuis plus de deux siècles retournent ainsi à Athènes où le nouveau musée de l’Acropole les attend. À l’occasion de la cérémonie de réception, l’archevêque Hiéronyme II a remercié le pape François de donner une « preuve tangible des résultats des relations fraternelles qui existent entre chrétiens des églises catholique et orthodoxe et de permettre aux fragments de regagner leur « espace naturel » ». Il a invité les pays détenteurs de biens illicites à suivre l’exemple du souverain pontife.
Le pape François est salué pour avoir initié une politique religieuse et fraternelle qui, par-delà les « problèmes et désaccords existants » a démontré que des solutions (sont) possibles ». Ajoutant que « par cet acte la vérité est en outre rétablie, les blessures et les traumatismes du passé sont guéris. » La dimension cathartique et expiatoire des restitutions est ainsi reconnue, au terme d’une translation de la problématique des restitutions du champ de l’histoire politique et historique dans le champ religieux. Le souhait de Hiéronyme II est que cette initiative « trouve d’autres imitateurs » car le pape François a « démontré que cela est possible ».
Une délégation du Vatican composée de Mgr Brian Farrell, secrétaire du dicastère pour la promotion de l’Unité des chrétiens et du sous-secrétaire Andréa Palmieri, du nonce apostolique en Grèce, Mgr Jan Romeo Pawlowski et de la directrice des musées du Vatican Barbara Jatta a accompagné les marbres lors de la cérémonie solennelle d’accueil. Mgr Farell a souligné que ce geste « ecclésial, culturel et social d’amitié et de solidarité avec le peuple grec… a une signification particulière dans l’affirmation toujours plus forte de l’amitié et de la proximité entre nos Églises. »
La rencontre entre les cultures est ainsi reconnue comme le moyen de parvenir à la paix. « Dans cet échange, souligne Mgr Farell nous nous enrichissons mutuellement…alors que nous sommes témoins de l’absence de paix dans le monde, en particulier sur notre continent, l’Europe », … « la rencontre entre les différentes cultures peut être le moyen qui permet à la famille humaine de s’épanouir dans le respect de l’autre. »
Les fragments
En 2008, le Vatican avait déjà restitué à la Grèce un fragment de la frise nord du Parthénon qui lui avait été offert au début du 19ème siècle.
Les fragments restitués aujourd’hui sont issus de sculptures décoratives du temple représentant la tête d’un jeune homme, celle d’un homme barbu et une tête de cheval. Arrivés « dans le cadre d’achats réguliers à la fin du XIXème siècle », selon le cardinal Fernando Vérgez Alzaga, ils faisaient partie de la collection du Vatican depuis environ deux siècles. Selon Vatican News, organe officiel de presse du Saint Siège, les trois fragments sont arrivés à Rome au XIX ème siècle par des « voies inconnues ».
Si certains média annoncent le retour en Grèce d’une tête de jeune homme, de la tête d’un jeune homme portant une offrande et d’une tête barbue – Vatican News, Post Cultura – d’autres avancent une tête de cheval…, ainsi Infochrétienne .
Quoiqu’il en soit de ces incohérences médiatiques, les trois marbres sculptés dans le marbre pentélique proviennent chacun d’une partie différente du temple construit par Périclès entre 447 et 432 av. J.C ; ils ont peut-être été sculptés par Phidias lui-même, sculpteur et responsable de l’ensemble du chantier.
Nous ne nous attarderons pas à ce débat, si significatif des distorsions entre certaines vérités rapportées et demeurons dans le champ de l’analyse de la diplomatie culturelle.
« Le voyage œcuménique du témoignage de la vérité »
De Rome à Londres
Cette restitution vaticane a été, il allait de soi, l’occasion de raviver la querelle entre la Grèce et l’Angleterre. Mgr Farrell a d’ailleurs déclaré : les Grecs « désirent légitimement le retour des fragments chez eux, dans leur emplacement d’origine. » L’objectif du Vatican était bien d’exercer une pression sur la conscience internationale, soulignant que ces fragments seront donnés à l’archevêque orthodoxe Ieronymos II « comme un signe concret du désir sincère de poursuivre le voyage œcuménique du témoignage de la vérité ». BFM TV rapporte les paroles de Brian Farrell, secrétaire pour la promotion de l’unité des chrétiens :
Ce faisant, la dimension politique de la restitution semble évacuée au profit d’une interprétation spirituelle. Artslife affirme : « Ceci démontre que lorsque les chefs spirituels chrétiens travaillent ensemble, ils peuvent résoudre les problèmes de façon pratique » a déclaré le Père Emmanuel Pappamikroulis, porte-parole de l’église. « Ceci a été décidé à un moment difficile pour notre pays… nous espérons que cette initiative aura des suites… » En mars 2023, une voie semble ouverte…
L’Unesco avait appelé à une réflexion internationale en créant, en 1978, une commission intergouvernementale pour activer les restitutions des biens culturels acquis illégalement. L’organisme international soutient une pratique qu’il a dénommée « repatriation ».
En mai 2022, une nouvelle réunion s’est tenue à l’Unesco et à cette occasion, le Saint Père a renouvelé son intention de restituer à l’archevêque orthodoxe d’Athènes les fragments du musée du Vatican à présent exposés de façon permanente au musée de l’Acropole.
À cet instant, la Sicile a choisi de rappeler son rôle initiateur : un fragment du Parthénon, arrivé au début du XIXème siècle par le consul Roberto Fagan, est parvenu au musée Regio de l’université de Palerme et de là, selon un acte de vente, au musée archéologique régional « Antonino Salinas » entre 1818 et 1820. La Sicile entend ne pas rester étrangère au débat. Palermo today rappelle que, Caterina Greco, directrice du musée archéologique régional de Palerme était présente lors de la cérémonie à Athènes, à l’invitation du ministre de la Culture du gouvernement de Lina Mendoni (voir Il Post). Le journaliste Alberto Samonà a rappelé que, l’année dernière, la Caisse régionale des Biens culturels sicilienne a voulu retourner à Athènes un pied d’Artémis, conservé au musée Salinas ainsi que les fragments provenant de la frise orientale du Parthénon où la déesse est représentée en pied. Grâce à cette initiative de juin 2022, le fragment est définitivement réintégré dans la frise de Phidias, détruite voici deux siècles par les affidés de Lord Elgin. Le journaliste a redit combien ce fut un honneur pour lui d’avoir assisté à la cérémonie de retour des marbres de Sicile en Grèce en présence des autorités grecs et vaticanes. La région est ainsi la première à effectuer un geste de restitution ouvrant une politique vertueuse qui porte ses fruits. En retour, les accords prévoient l’arrivée en Sicile, sous peu, d’une statue acéphale d’Athéna de la fin du Vè siècle av. J.C au musée Selinas. Elle sera accueillie lors d’une cérémonie qui consolidera les rapports d’amitié entre la Grèce et les musées de Sicile. Dans le contexte de journées internationales de recherches. Alberto Samonà a écrit : « aujourd’hui, nous construisons ensemble une Europe nouvelle, celle de la Culture qui constitue les racines de notre histoire et de notre identité méditerranéenne commune, gardienne du futur. »
L’objectif de l’Unesco est bien de favoriser les relations entre deux pays impliqués dans des acquisitions douteuses et éventuellement dans des restitutions.
En tous les cas, le nombre des restitutions croît. Au début, seuls des musées de moindre importance semblaient concernés, aujourd’hui le thème a pénétré les mentalités et s’inscrit dans une phase applicative. Le Vatican, le Smithsonian de Washington, et l’Humboldt Forum de Berlin se sont montrés actifs dans cette direction. Cependant que le Kunsthistorisches Museum de Vienne déclare avoir ouvert des négociations avec la Grèce en vue de renvoyer au musée de l’Acropole un fragment de la frise du Parthénon représentant deux hommes barbus.
Mais le Bristish Museum demeure réticent, en retrait de ces discussions. Or depuis des décennies, la Grèce demande au musée londonien la restitution d’une frise de 75 mètres détachée du Parthénon, ainsi que d’une des célèbres cariatides provenant de l’Érechthéion, petit temple antique également sur le rocher de l’Acropole, toutes deux pièces maîtresses des collections [1].
Il y a peu, contraint néanmoins par l’opinion publique internationale, le British Museum a déclaré avoir des « discussions positives avec les autorités grecques, ouvrant pour la première voie la voie à une restitution. » La Grèce a cependant élaboré des solutions médianes d’échanges, des moulages… Depuis 2009, elle a ouvert le musée de l’Acropole dont une galerie attend le retour des marbres du Parthénon.
Depuis 1826, le British Museum conserve environ la moitié des marbres du Parthénon dits « marbres Elgin ». Le conte Elgin ayant fait revenir d’Athènes quelques soixante caisses de marbres sculptés, arrachées à l’Acropole d’Athènes par une « mission archéologique » qu’il avait financée durant sa mission diplomatique auprès de la Sublime Porte [2]. La question de la légalité de cette mission demeure aujourd’hui encore irrésolue.
Le président du musée, George Osbourne, a proclamé que le British Museum, tel qu’il est aujourd’hui, est le fruit de plusieurs générations de labeur. Le disperser ne doit pas être le travail d’une seule génération. Le musée prône depuis peu le principe de « division » des marbres entre Londres, où la foule des visiteurs pourra les contempler et le musée de l’Acropole, sur leur terre natale. La direction du musée londonien fonde sa démarche sur la partition de quelques retables médiévaux entre différents musées ; chaque partie pouvant être le reflet du tout.
L’Unesco a rappelé le principe énoncé par Quatemère de Quincy au XVIIIème siècle : « Diviser, c’est détruire » et rappelle la décision de la cour internationale de justice en 1962 lorsque l’affaire du temple cambodgien de Preah Vihéar, pillé et privé des fragments architecturaux et sculptés emportés par la Thaïlande a abouti à une décision fondatrice : un État ne perd jamais son droit de propriété sur les monuments et les bâtiments publics, ni sur les parties qui en auraient été enlevées. Les marbres du Parthénon appartiendraient donc à la Grèce, pour l’éternité. Mais un fait ravive la querelle : quittant le musée londonien, les marbres ne retourneraient pas sur l’édifice lui-même, mais dans le musée construit à ses pieds et qui attend leur retour… Il n’y aurait donc pas de retour sur l’édifice stricto sensu et la décision de la cour internationale n’aurait pas lieu d’être appliquée en ce cas.
Londres a d’autres raisons de s’inquiéter : dans les collections du musée londonien, outre les marbres du Parthénon, sont d’autres objets de contestations et de restitutions. Ainsi la Pierre de Rosette, quelques bronzes du Bénin et une statue de l’île de Pâques… Ne seront-elles pas un jour également réclamées ? En 2009, Zahi Hawass, le chef très médiatique du Conseil suprême des antiquités égyptiennes, a fait une déclaration tonitruante à la BBC : « Nous avons décidé de ne pas « accueillir » la pierre de Rosette, mais de demander la restitution permanente à l’Égypte » [3]. Il exige formellement du gouvernement britannique la restitution de la pierre de Rosette puis de récupérer ensuite seize pièces archéologiques emportées illégalement d’Égypte vers Londres. 2500 archéologues ont lancé une pétition en ce sens au British Museum.
Rappelons que les troupes anglaises s’en sont saisi en 1801, on a donc célébré il y a peu le 200ème anniversaire du déchiffrement des hiéroglyphes grâce aux inscriptions plurilingues de la pierre, en hiéroglyphes classiques, hiéroglyphes simplifiés et en grec ancien. On comprend l’inquiétude britannique, la Pierre faisant en outre partie d’une collection de plus de 100 000 reliques égyptiennes et soudanaises conservées au British Museum. Associated Press s’en est inquiétée, le musée ne lui a transmis aucun détail sur le statut des œuvres. Seraient-elles susceptibles, elles aussi, d’être un jour reconnues comme « butin de guerre », statut que Zahi Hawass réclame pour la pierre de Rosette ?
Le Premier ministre Richie Sunak a mis un terme aux discussions : il n’est pas question d’ouvrir la boîte de Pandore et de se lancer dans une politique de restitution généralisée. Ces marbres font désormais partie de la culture britannique, ils ne bougeront pas d’un millimètre.
ARTSLIFE interroge : n’y-a-t-il pas actuellement une « orgie du politiquement correct ? On ne voit aujourd’hui les « trésors historiques restitués … que si l’on se nomme Bénin, Mali, au maximum Éthiopie. »
La Grèce, sachant qu’elle n’obtiendra rien des Anglais, ne vise-t-elle pas essentiellement les musées – bien moins prestigieux, parfois – qui possèdent des marbres du Parthénon : Paris, mais aussi Copenhague, Vienne, Wurtzbourg.
Athènes espère que le geste du Vatican initie la générosité internationale. Archéologie et diplomatie ont toujours entretenu des relations consubstantielles. La religion s’invite aujourd’hui dans le débat.
[1] Depuis 1826, le British Museum conserve environ la moitié des marbres du Parthénon, le conte Elgin lui ayant vendu les marbres caisses de l’Acropole qu’il avait rapporté de sa mission diplomatique dans le Sultanat ottoman.
[2] Voir mon texte Le prétexte du firman ; L’Angleterre face à ses ambiguïtés.
[3] Le Journal des Arts, 11 décembre 2009.