Création d’un séminaire à l’EHESS
Par Denise Vernerey-Laplace, Centre Georg Simmel-EHESS-CNRS
La dimension des rapports franco-allemands définit l’histoire de tous les pays européens entre 1870 à 1945. L’écriture de ces rapports n’est pas parallèle, elle croise et entrecroise les relations pour définir des transferts, des relations « croisées » dont on situe les prémices très haut dans le temps. La cathédrale de Strasbourg est-elle française ou plutôt allemande ? Grands débats sans conclusions depuis le 19ème siècle.
Curieusement les années d’avant-guerre et d’entre-guerre sont des années de curiosité réciproque : jamais les Français n’ont été aussi étonnés par l’Allemagne qu’au début du XXème siècle. Jamais l’Allemagne n’a été plus intriguée par une histoire culturelle française en opposition à laquelle elle va jeter les fondements de sa propre supériorité idéelle. C’est une uchronie qui tente alors de s’ébaucher. La prospérité des instituts français en Allemagne, la carrière de André-François Poncet, ambassadeur germanophile de France Outre-Rhin l’attestent. Et, plus profondément, un cannibalisme culturel essentiel : au terme de fouilles dans les sites préhistoriques bretons, l’Allemagne en proclame l’origine germanique ; une falsification déviante qui accule les Français à la situation d’intrus sur leur propre sol.
Ainsi dépouillée de son essentialité, la France fait fi de la multiculturalité qui a fait sa richesse au début du siècle. Les artistes d’Europe centrale, accueillis à bras ouverts vers 1900, sont regardés avec méfiance lorsqu’ils reviennent dès 1933. Dix années plus tard, ils sont apatrides, internés, déportés.
Comment faut-il dans ce maelström comprendre et inscrire l’histoire en elle-même déjà si complexe des spoliations et des restitutions ? Le séminaire Spoliations et Recherche de provenance dans l’espace européen. (1940/45-… ?) initié à l’École des Hautes Études en Sciences sociales – Centre Georg Simmel – par Denise Vernerey-Laplace, trésorière de l’association Astres, inscrit ses recherches dans cette dimension croisée entre France et Allemagne.
Il n’est pas ici l’instant de décrire les modalités de ces transferts dans leurs dimensions pragmatiques et idéelles, mais plutôt d’évoquer l’efficacité analytique du schéma du croisement ou du transfert dans l’étude des spoliations et des restitutions. Toute histoire croisée s’écrivant dans un cadre temporel défini, nous avons retenu celles qu’avait imposées la mission Mattéoli : 1939-1945, en apposant une interrogation à cette dernière date, spoliations et restitutions relevant les unes et les autres de la catégorie du processus ; en cours donc. Si le terminus ante quem – 1930 – semble définitivement acquis, le terminus post-quem est en revanche questionnable : la fin des spoliations n’est pas la fin de l’histoire et l’histoire des restitutions n’est pas une séquence close, tant s’en faut.
La paix revenue, le temps des restitutions s’inscrit dans des rythmes décalés. L’asymétrie apparait dans la chronologie des lois françaises frappant de nullité les actes de spoliation et instituant les obligations de restitutions ou d’indemnisation (Ordonnance du 21 avril 1945 portant deuxième application de l’ordonnance de 12-11-1943) d’une part ; loi fédérale de restitution, dite loi Brüg en Allemagne (1957) d’autre part.
Cette asymétrie trouve son fondement dans les situations sociétales et humaines des deux pays. En France, un climat de reconstruction constitutionnelle et sociétale. En Allemagne, la Wiedergutmachung idéelle et l’aspiration à l’autonomie qui adviendra enfin dans l’éclatement en deux structures politiques, l’est / l’ouest.
Nous aurons, à l’issue du séminaire élaboré, nous l’espérons, un espace de compréhension où les questionnements intrinsèques du champ des spoliations puis des restitutions se trouveront historicisés -en miroir- dans leur dynamique processuelle.