Par Hélène Ivanoff
Depuis la loi du 22 juillet 2023 et suite au décret adopté le 5 janvier 2024, la Commission d’indemnisation des victimes de spoliations (CIVS) a vu ses compétences s’élargir aux collections nationales et territoriales, ainsi qu’à l’ensemble des territoires sous le contrôle de l’Allemagne nazie entre 1933 et 1945.
Le nouveau cadre législatif permet d’étendre le champ d’application des restitutions et/ou des réparations telles que préconisées par les Principes de Washington adoptés par l’État français en 1998. Jusque-là, les procédures judiciaires s’appuyaient sur l’ordonnance du 21 avril 1945. Elle limitait la période des actes spoliateurs à celle de l’Occupation, c’est-à-dire au territoire français après le 16 juin 1940. Les restitutions recommandées par la CIVS obligeaient à l’adoption de lois spécifiques lorsqu’elles concernaient les collections publiques.
Les actes de spoliation intervenus à l’étranger et la période entre 1933 et 1940 peuvent être désormais pris en compte par la CIVS et la dérogation au principe d’inaliénabilité est instituée pour les biens entrés dans le domaine public s’avérant spoliés. La CIVS placée sous la tutelle du Premier ministre peut par conséquent être saisie dans le cas d’un bien culturel faisant partie des collections des musées de France.
Certes, ce nouveau cadre législatif ne résout pas le cas des œuvres spoliées se trouvant en main privée ou dans des musées étrangers, pour lesquelles la CIVS ne peut formuler que des recommandations de principe et qui contraignent bien souvent les ayants-droits de familles spoliées à recourir à des procédures judiciaires ou du moins à l’intervention d’un avocat. Il engage par contre les musées de France dans une démarche proactive d’étude de leurs collections et conduit à s’interroger sur les acquisitions faites depuis 1933.
Il faut saluer ici la démarche pionnière engagée par le musée des Beaux-arts de Rouen dès l’été 2022 qui s’est concrétisée par la mise en place d’une mission d’audit de ses collections acquises depuis 1933. Financée par la Métropole de Rouen, elle a été menée par des chercheuses indépendantes – Marie Duflot, Hélène Ivanoff et Denise Vernerey-Laplace – de janvier à septembre 2023 et a bénéficié des conseils de Maître Corinne Hershkovitch. Les résultats ont été rendus publics lors de conférence du 22 janvier 2024 et les recherches se poursuivent actuellement.
En région, par l’intermédiaire des Directions régionales des Affaires culturelles (DRAC), de nouveaux financements se profilent pour soutenir les recherches de provenance, comme en atteste le récent appel d’offre de la Région Auvergne-Rhône-Alpes en février 2024. Il concernait plusieurs musées – le musée d’art et d’archéologie de Valence, le musée des Tissus et des arts décoratifs de Lyon, le musée de Grenoble, le musée du monastère royal de Brou et le musée des Beaux-Arts de Lyon – ayant pour certains d’entre eux sélectionné des œuvres à étudier en amont.
Depuis quelques années, la recherche de provenance tend ainsi à s’imposer dans les institutions muséales. Paris Musées a en effet recruté en mars 2024 Ophélie Jouan comme chargé de recherches de provenances et de suivi du post-récolement pour les collections des quatorze musées de la ville de Paris, dont le Musée d’Art moderne de Paris sans doute le plus concerné par le sujet. À la Cité de la musique – Philarmonie de Paris, Fanny Lebreton est chargée de l’histoire des collections et de la recherche de provenance depuis décembre 2023. Ceci fait suite à la nomination d’Ines Rotermund-Reynard à la tête des recherches en provenance au musée d’Orsay en septembre 2023, de Lucile Paraponaris au Musée de l’Armée – Hôtel des Invalides en février 2020 ou encore d’Emmanuelle Polack chargée de mission au Louvre sur ces thématiques depuis janvier 2020.
Tandis qu’à Paris, de plus en plus de musées se dotent de département de recherche de provenance, le recours à des missions ponctuelles semble donc être privilégié en région. Il est à espérer que ces financements accordés par le Ministère de la culture se multiplient pour pouvoir faire appel à des chercheurs extérieurs pouvant se consacrer à des missions d’évaluation des collections publiques depuis 1933. Ces dernières ne peuvent être pleinement assurées en interne, sans création de nouveaux postes, compte-tenu du temps et des compétences spécialisées que nécessitent les recherches de provenance.
La réussite de ces missions d’évaluation externes dépendra des budgets alloués, de la coopération avec les services de documentation, de conservation et de direction des musées, de l’efficacité et des compétences des chercheurs sollicités, ainsi que des capacités des institutions muséales à diffuser et exploiter ensuite les résultats de recherche. En outre, ces financements publics pourraient avoir pour effet bénéfique de mieux structurer et définir la profession de chercheur de provenance, exercée à l’heure actuelle par quelques spécialistes indépendants, qui sont appelés à intervenir tant auprès des institutions publiques que des acteurs privés du monde l’art.