Par Marie Duflot
Devant une salle comble, Hector Feliciano est revenu sur ses travaux le 28 février dernier, à l’occasion d’une séance du séminaire « Patrimoine spolié pendant la période du nazisme (1933-1945) » de l’INHA, du ministère de la Culture et de l’INP.
Journaliste portoricain, il est l’auteur du retentissant Le musée disparu, publié en 1995 en France. Son livre mettait en lumière les pillages de biens culturels savamment orchestrés au cours de la Seconde Guerre mondiale et l’insuffisance des recherches de provenance conduites après-guerre, à une époque où l’attention portée à cette question s’était considérablement amenuisée.
Hector Feliciano a expliqué quelles difficultés il avait dû surmonter au cours des huit années de recherches nécessaires à la rédaction de son livre. En effet, dans les années 90, les ouvrages sur le sujet étaient rares, et celui de Rose Valland épuisé (Le Front de l’Art). L’accès aux archives était restreint, d’autant plus pour un journaliste. Quant aux institutions muséales, elles étaient relativement silencieuses et faisaient preuve de réticence à aborder le sujet. L’auteur explique cette situation par la confidentialité ambiante et le fait que les spoliations étaient un « non-sujet » à l’époque. Finalement, c’est en interrogeant des personnalités affranchies de leurs liens avec les institutions que l’auteur a pu obtenir de précieux témoignages.
De gauche à droite : Didier Schulmann, Hector Feliciano, David Zivie.
L’assemblage de toutes les informations réunies a également été un exercice délicat. Hector Feliciano s’est beaucoup interrogé sur la présentation du résultat de ses recherches, ayant parfaitement conscience de l’extrême sensibilité du sujet et de la nécessité que celui-ci soit connu et compris. De plus, Le musée disparu se voulait être un ouvrage d’histoire de l’art mais aussi une enquête journalistique. La moindre erreur historique aurait alors pour conséquence directe de décrédibiliser le message véhiculé… et le message d’Hector Feliciano est loin de passer inaperçu à la publication du livre.
Les maisons d’édition et magazines n’osent le publier, ni les professionnels se rapprocher de lui de peur d’être associés aux propos incisifs de l’auteur.
En effet, un passage d’une dizaine de pages sur les MNR suffira à faire éclater le scandale. L’opacité qui entourait le statut de ces quelques deux mille œuvres et objets d’art et l’attitude des musées sont très mal perçues par le grand public, qui découvre d’un seul coup l’ampleur et la systématisation des spoliations, et l’insuffisance – voir l’inertie – des recherches et des restitutions. Hector Feliciano se souvient avoir été frappé par l’idée, bien ancrée dans le milieu muséal français, qu’une œuvre qui rentre au musée n’en sort pas, jamais. Philippe Dagen, universitaire, ajoute à ce propos que les conservateurs avaient alors « un réflexe de propriété féroce ».
Bien que l’ouvrage d’Hector Feliciano ait provoqué de vifs débats, il a eu le mérite de relancer celui sur les spoliations et la restitution des biens soustraits aux Juifs pendant la Seconde Guerre mondiale. La commission Mattéoli est créée en 1997, quelques années après la publication, pour étudier l’ampleur des spoliations infligées aux Juifs de France (sans toutefois que le moindre contact ne soit établi avec Hector Feliciano). La CIVS est créée dans la foulée en 1999, puis la Fondation pour la mémoire de la Shoah en 2000. En parallèle, la situation des MNR reste compliquée comme le démontre la bataille juridique que doivent surmonter en 1999 les héritiers de Gentili di Guiseppe pour récupérer cinq œuvres spoliées et classées MNR, confiées au musée du Louvre.
Si le chemin parcouru depuis 1995 a vu de nombreuses évolutions dans la bonne direction, il reste de nombreux chantiers à traiter : la spoliation des livres, des meubles, des biens des francs-maçons, et bien d’autres. Plusieurs personnes présentes lors de la conférence ont également souligné l’importance de conduire une étude sociologique du milieu culturel et de sa compréhension des textes juridiques avant, pendant et après l’Occupation.
Après toutes les difficultés rencontrées dans les années 90, Hector Feliciano observe qu’« être à l’INHA aujourd’hui c’est le monde à l’envers, ou à l’endroit »
Lien vers le livre d’Hector Feliciano.
Pour obtenir plus d’informations sur le séminaire « Patrimoine spolié pendant la période du nazisme (1933-1945) » organisé par l’INHA, en partenariat avec la M2RS (ministère de la Culture) et l’INP, et le calendrier des prochaines séances, cliquez ici.