Recension du livre de Christoph Zuschlag par Hélène Ivanoff
La recherche de provenance étudie l’origine et l’histoire des œuvres d’art et plus largement des biens culturels de toutes sortes, de leur création à nos jours. Elle s’intéresse à la biographie des objets et à leurs régimes successifs de propriété, à la croisée des disciplines et des époques. Depuis toujours, elle fait partie de la méthodologie des sciences de l’art, qui comprend l’histoire des collections et les questions d’attribution. Ce n’est cependant que depuis les débats actuels sur les restitutions qu’elle est devenue un champ de recherches à part entière, avec ses propres outils, méthodes et savoirs.
La restitution des biens spoliés par les nazis, la découverte de la collection Gurlitt, les débats sur les spoliations en RDA et dans les anciennes colonies ont été en effet de véritables catalyseurs et ont propulsé la recherche sur la provenance des biens culturels au centre de l’intérêt public. Elle s’est vue attribuée un rôle déterminant dans les contextes historiques d’injustice telles que la période coloniale et celle du nazisme. Le livre « Introduction à la recherche de provenance : comment déterminer l’origine des biens culturels ? » est une excellente entrée en matière dans ce nouveau domaine de recherches. Christoph Zuschlag, professeur de recherche sur la provenance des biens culturels à Bonn, présente le sujet de manière complète et informée, accessible à tous.
Il en retrace l’histoire dont il fait remonter les origines au Moyen-âge avec les trésors sacrés et l’inventaire des reliques puis des collections d’antiquités de la Renaissance, en passant par les catalogues des collections au XVème siècle comme celles du duc de Berry ou celles des galeries et des cours royales et princières au XVIIème siècle. Les catalogues de ventes font leur apparition au XVIIIème siècle avec le développement du marché de l’art. L’histoire de l’art et les musées s’institutionnalisent au XIXème siècle et entraîne une standardisation des méthodes et une plus large prise en compte du contexte historique au XXème siècle.
L’auteur définit ensuite le concept de translocation des biens culturels qu’il tente de systématiser en différenciant ses différents contextes d’apparition par exemple les contextes militaires et les guerres, les voyages de découvertes et les expéditions scientifiques, le commerce et les voyages, le marché de l’art, les musées et leurs expositions, les accords bilatéraux et multilatéraux, les dons et les prêts, la réappropriation d’anciennes parties de monuments dans de nouvelles constructions, les vols et recels, les déplacements liturgiques ou encore les restitutions.
Dans le chapitre suivant, la méthode des recherches de provenance est décrite pas à pas : de l’étude de l’objet aux recherches sur les personnes, les institutions et le contexte historique, à la consultation des archives et des bases de données, permettant l’identification de l’œuvre et de ses différents propriétaires. Le constat est clair : la recherche de provenance a pour essence de demeurer lacunaire. Zuschlag distingue aussi des cas particuliers concernant des bibliothèques, des fonds d’archives, des collections sensibles parmi lesquelles les restes humains ou des objets sacrés. Il montre comment la méthode a également ses spécificités lorsqu’elle concerne des collections ethnologiques ou de sciences naturelles.
Derrière le terme de translocation qui vient de la génétique et signifie un échange de chromosomes, se cachent les idées de « cassures » et de « réparation ». Zuschlag met cependant en garde contre les ambitions et les illusions liées à la recherche de provenance : « Aucune restitution », dit-il, « ne peut faire revivre les victimes de la Shoah, aucune restitution ne peut effacer les crimes commis pendant la période coloniale ». Tout au plus peut-elle « rétablir un minimum de justice a posteriori et atténuer les traumatismes historiques ». Selon lui, la provenance est en train de devenir un nouveau paradigme dans les sciences culturelles et humaines. L’auteur annonce un tournant de la provenance ou provenancial turn.
Comme Zuschlag le précise, le livre n’est donc pas un manuel de recherche sur la provenance où l’on trouverait notamment une description précise des outils, des normes et des critères, ainsi que de la déontologie à respecter, telle que pourrait la développer un chercheur de provenance professionnel. L’approche est bien celle d’un universitaire qui fait preuve d’une grande clarté dans la définition des termes, la classification des différents types de biens culturels concernés et la méthode des recherches de provenance qui leur est appliquée. On ne peut que vivement recommander la lecture très instructive de ce livre qui s’adresse tant aux spécialistes qu’à un public non initié et qui souligne les enjeux et les attentes liés à ce nouveau domaine de recherches.